Après la victoire des Arabes sur les Byzantins en 647, Sidi ‘Uqba ibn Nafi‘ fonda en 670, à 60 kilomètres de Sousse, Kairouan ou Qayrawan (terme qui signifie place d’armes). C’était un campement permanent, à l’abri des attaques de la flotte byzantine, qui devait servir de base opérationnelle pour lutter contre les Berbères.
Importante ville de Tunisie (102 000 hab. en 1995), la cité moderne comporte, comme les autres villes du Maghreb, une kasbah où se trouvent le centre administratif, les résidences des notables locaux et les souks regroupant les activités commerciales et artisanales. Les principales industries sont la fabrication des tapis et des couvertures de laine. La ville, jadis réputée pour le travail du cuir et pour celui du cuivre, fut la capitale musulmane et la résidence des gouverneurs arabes. Occupée par les Berbères en 689, elle connut un siècle de révoltes et de luttes contre les kharidjites. En 772, Yazid ibn Hatim prend possession de Kairouan, rebâtit la Grande Mosquée, fait aménager les souks pour chaque corps de métiers et mérite le surnom de « second fondateur de la ville ». Ibrahim ibn Aghlab reconnaît tout d’abord la suzeraineté de Harun al-Rashid puis s’affranchit de Bagdad moyennant un tribut annuel et, à partir de 800, constitue une dynastie indépendante qui se maintiendra un siècle. Sous les Aghlabides, Kairouan connaît son apogée. Pour assurer l’alimentation en eau potable, les princes de cette dynastie, Ziyadat Allah Ier et Ibrahim, font construire châteaux d’eau et citernes dont le bassin des Aghlabides préserve le souvenir. La Grande Mosquée est l’objet de plusieurs remaniements. Kairouan est aux IXe et Xe siècles un sanctuaire et une grande ville de commerce. C’est aussi une ville de science renommée pour son école de droit malékite et son école de médecine formée par Ishaq ibn ‘Imran.
Au milieu du Xe siècle, la ville connaît des troubles, et le calife Isma‘il al-Mansur établit sa résidence à al-Mansuriya, qu’il avait fait construire à quelque distance de Kairouan. Au début du XIe siècle, les Zirides rompent avec les Fatimides ; ils installent leur résidence à Kairouan en 1048 et reconnaissent la suzeraineté du califat de Bagdad. Les Fatimides déclenchent alors l’invasion hilalienne qui aura de profondes conséquences. Dès lors, le Maghreb tourne le dos à l’Orient. Kairouan, ruinée en 1057, ne se relèvera pas de ce désastre : la décadence s’accentue sous la dynastie berbère des Hafsides (1228-1574). Maltraitée par les princes de Tunis, la population de Kairouan est en révolte permanente. Depuis la fin du XVIe siècle et tout au long du XVIIe, la région devient l’enjeu des rivalités entre Turcs et Espagnols. En 1702 Husayn ibn ‘Ali, fondateur de la dynastie husaynite, relève Kairouan de ses ruines, restaure l’enceinte et de nombreuses mosquées. Après une nouvelle période de troubles graves au milieu du XVIIIe, la ville devient, en 1784, « la plus grande ville du royaume après Tunis ». Vivant sous le contrôle étroit des Turcs Ottomans, Kairouan conserve son caractère de ville sainte musulmane où le fanatisme hostile aux chrétiens persiste jusqu’à la fin du XIXe siècle. Après la signature du traité du Bardo (1881), Kairouan sera un des foyers de la résistance au protectorat français.
L’importance du passé de Kairouan est attestée par de nombreux édifices. Sidi ‘Uqba fit édifier en 670 une des plus grandioses mosquées du monde musulman. Hasan ibn Nu‘man remplace l’édifice primitif par une nouvelle mosquée en 695 ; celle-ci, devenue trop petite, est agrandie en 723 aux frais de Hisham, le calife omeyyade de Damas, qui lui fait donner les dimensions de la mosquée actuelle. Le minaret carré aurait été commencé à ce moment. Construit en brique du côté nord, dans l’axe du mihrab, il a 30 mètres de hauteur pour environ 10 mètres à la base. Le modèle de cette tour à trois étages en retrait doit être recherché dans le Phare d’Alexandrie. En 774, le gouverneur Yazid ibn Hatim fait à son tour abattre toute la mosquée, à l’exception du mihrab, et la reconstruit à nouveau. Cet édifice aurait été remplacé en 836 par un autre, œuvre de l’Aghlabide Ziyadat Allah. La grande mosquée actuelle ne comprendrait donc, hormis le mihrab désormais enfermé entre deux murs et visible à travers une fenêtre grillagée, aucun élément antérieur au IXe siècle.
L’ensemble de la cour et de l’oratoire devait avoir à l’origine les dimensions actuelles (80 mètres de large et 135 mètres de profondeur) ; un peu plus du tiers finira par être occupé par la salle de prière. Celle-ci comprend dix-sept nefs à toit plat orientées perpendiculairement au mur de la qibla avec une nef centrale plus haute et plus large. À l’intérieur, 414 colonnes monolithes, provenant de monuments antiques, supportent le toit plat. Chaque chapiteau repose sur une imposte qui reçoit la retombée d’un arc légèrement outrepassé, des tirants renforçant les piles des arcs alignés en profondeur. En 836, la salle de prière de Ziyadat Allah comprend quatre travées dont une plus large au fond. Devant le mihrab l’intersection de la nef centrale et de la travée large est surmontée d’une coupole à larges côtes reposant sur un tambour octogonal aux faces légèrement concaves dressé sur un massif carré creusé de niches. En 862, Abu Ibrahim agrandit l’oratoire de trois travées vers le nord. En 875, Ibrahim II construit encore trois travées aux dépens de la cour, également amputée sur les trois autres côtés par des galeries doubles. Ainsi la salle de prière s’ouvrira désormais sur la cour par treize arcs. Au-dessus de l’entrée, une seconde coupole à côtes sur tambour percé de fenêtres, la qubba Bab al-Bahw, repose sur un premier tambour carré. La salle de prière, au terme de ses agrandissements, compte dix travées et présente un plan basilical où la nef centrale et la travée terminale font apparaître un tracé en T. Les épais murs en brique, dotés de contreforts, sont percés de quatorze portes. À l’est, un porche couvert d’une coupole à côtes, le Bab Lalla Rayhana, s’ouvre dans un saillant carré. Les influences de l’art ‘abbasside se traduisent par l’emploi de carreaux de faïence à reflets métalliques analogues à ceux de Samarra, par l’usage du défoncement des façades en niche plate ou en cul de four et par des trompes pour le passage du carré au polygone. La Grande Mosquée de Kairouan est l’œuvre capitale du Maghreb, comme la Grande Mosquée de Cordoue l’est de l’Espagne.
À l’époque aghlabide appartient le petit oratoire connu sous le nom de mosquée des Trois-Portes, élevé en 866 ; il comporte une façade à arcatures en fer à cheval et trois nefs divisées en profondeur par trois travées. Trois autres monuments sont à signaler à Kairouan : la Zawiya de Sidi Sahib, dite mosquée du Barbier, datant du Ier siècle, a été remaniée au XVIIe siècle ; l’agréable ensemble architectural actuel, œuvre de Hammuda bey, comprend une medersa, un oratoire et un tombeau ; à la Zawiya de Sidi Abeid al-Ghayrani, construite peut-être par un prince hafside en 1325, la salle de prière est divisée en trois nefs transversales, et le tombeau du saint s’élève près du mihrab. Le plus récent des monuments religieux est la Zawiya Sidi ‘Ameur Abbada ; connue sous le nom de mosquée des Sabres, elle contient la sépulture d’un santon mort en 1871. La construction est remarquable par ses cinq coupoles à côtes reposant sur le cube par un tambour polygonal percé de fenêtres. Les défenses primitives de la ville, élevées au VIIIe siècle, ont été démolies à plusieurs reprises mais l’enceinte actuelle, qui remonte au XVIIIe siècle, présente encore un caractère très médiéval, avec ses portes coudées comme Bab al-Khukha et ses murs de brique flanqués de contreforts et de saillants semi-circulaires reliés par un chemin de ronde que protège un parapet à merlons.