Durant les deux derniers siècles avant notre ère,
les Numides créèrent, en Afrique du Nord, un
État puissant à la civilisation originale. Cest
là un fait exceptionnel dans lhistoire de lAfrique
antique ; ce cas mis à part, en effet, les Berbères,
habitants autochtones du pays, virent se succéder des
dominations et des civilisations étrangères : celles
des Phéniciens à Carthage, celles de Rome et, plus
tard, celles des Vandales, des Byzantins et des Arabes. Le
succès du royaume numide fut dû très largement
à laction du roi Massinissa. Ses successeurs,
malgré leurs efforts, ne purent toutefois résister
à limpérialisme romain.
Le cur du pays numide était lactuel Constantinois,
les hautes plaines qui sétendent entre
lAurès au sud, le Hodna et la Petite Kabylie au nord.
Cependant, on considérait comme numides les tribus
berbères de lactuelle Tunisie. Les Numides peuplaient
donc la partie orientale du Maghreb et se distinguaient des Maures de
la partie occidentale, des Gétules des confins sahariens. Tous
nignoraient pas lagriculture, mais, pour
lessentiel, jusquau IIIe siècle avant notre
ère, ils vivaient en nomades pasteurs : les Grecs les
nommaient oi Nomadev, ceux qui font paître, et cest
lorigine du nom des Numides. Ils étaient divisés
en de nombreuses tribus entre lesquelles des liens assez lâches
et instables sinstaurèrent.
Massinissa, allié de
Rome
Au IIIe siècle avant J.-C., pendant quune
fédération maure se constituait dans le nord du Maroc
actuel, deux royaumes numides apparurent, celui des Masaesyles
à louest, entre la Mulucha (Moulouya) et Cirta
(Constantine), celui des Massyles, aux confins des territoires
carthaginois. Syphax, roi des Masaesyles, apparut comme un puissant
personnage ; il domina toute lAlgérie actuelle et
choisit pour capitale Cirta, que son site naturel rendait presque
inexpugnable. En 203, cependant, cette puissance
seffondrait.
Le royaume massyle était beaucoup plus petit que son rival.
Syphax en entreprit la conquête et réduisit à une
vie de proscrit Massinissa, fils du roi défunt Gaïa.
Massinissa était dune trempe et dune
habileté exceptionnelles. En pleine guerre entre Rome et
Carthage, il sallia à Scipion. Il
bénéficia de la victoire romaine. Son entrée par
surprise à Cirta, en 203, mit fin au royaume masaesyle. Il fut
bientôt le maître de tous les pays situés entre la
Mulucha et le territoire laissé à Carthage au nord-est
de lactuelle Tunisie.
Massinissa régna plus dun demi-siècle et son
uvre fut considérable. Avant tout, il
sefforça de sédentariser ses sujets nomades et de
les convertir à lagriculture. « Il mit en valeur de
très vastes espaces », dit lhistorien Polybe. Son
but était daccroître les ressources du pays et
ainsi de pouvoir prélever des impôts qui fourniraient
les ressources financières indispensables à
lÉtat quil voulait créer. Dautre
part, les nomades étaient de perpétuels rebelles ; des
sédentaires seraient beaucoup plus disposés à
accepter un pouvoir politique central. Les nouveaux cultivateurs
furent groupés dans des bourgs fortifiés ; ainsi se
développa une véritable urbanisation. Les villes
reçurent des constitutions inspirées de celles des
cités puniques de la côte : elles furent
administrées par des suffètes. Cirta devint une
capitale où sélevèrent des monuments.
Massinissa, dit Tite-Live, proclamait que lAfrique devait
appartenir aux Africains, et non aux étrangers, quils
fussent romains ou phéniciens. La civilisation qui se
développa dans son État devait cependant beaucoup
à Carthage. Les inscriptions montrent un emploi
simultané de la langue punique et de la langue libyque. Sur le
plan religieux, linfluence carthaginoise fut profonde.
Massinissa demeura cependant fidèle à lalliance
romaine, ce qui lui permit daccroître ses possessions
vers lest. En 162, il occupa la région des emporia des
Syrtes (la Tripolitaine). En 153, il annexa une importante partie du
territoire carthaginois. Carthage dut alors se défendre et son
réarmement fut le prétexte que saisit Rome pour
déclencher la troisième guerre punique (149-146) qui
sacheva par la destruction totale de la capitale punique.
Peut-être les Romains avaient-ils voulu surtout prévenir
une annexion du territoire carthaginois par les Numides, ce qui
aurait reconstitué un empire africain puissant et
dangereux.
Jugurtha
Massinissa était mort en 148, à près de
quatre-vingt-dix ans. Scipion Émilien, qui
sapprêtait à détruire Carthage,
présida au partage de la Numidie entre les trois fils du roi,
mais la mort rapide de ses frères laissa tout le pouvoir
à Micipsa. Durant les trente ans de son règne, il
continua la politique de son père et veilla à garder de
bonnes relations avec Rome. À sa mort, en 118, il légua
son royaume à ses deux fils et à son neveu Jugurtha.
Rome fit procéder au partage de la Numidie. Jugurtha ne
sy résigna pas. À deux reprises, en 116 et en
113-112, il attaqua les États de ses cousins quil tua
successivement, bravant impudemment les ordres de Rome. Les marchands
italiens de Cirta furent massacrés et une longue guerre
commença.
Jugurtha gagna du temps, utilisant la corruption de la noblesse
romaine quil connaissait bien. En 109 et 108, les Romains
reprirent loffensive grâce à Metellus. Les
succès décisifs furent remportés par Marius en
107 et 106. Enfin, en 105, grâce à la trahison du roi
Bocchus de Maurétanie, jusque-là allié de
Jugurtha, le Numide fut capturé par le questeur Sylla, le
futur dictateur. Jugurtha fut cruellement mis à mort à
Rome.
Juba et la fin du royaume
numide
Le royaume numide fut divisé en deux parties,
confiées à des rois qui furent les dociles vassaux de
Rome. Lun deux, Juba, qui régnait au milieu du Ier
siècle sur la moitié orientale du pays, était
lennemi personnel de César. Il prit le parti des
pompéiens réfugiés en Afrique et joignit ses
forces aux leurs. La déroute des républicains
dAfrique après la bataille de Thapsus (46 avant J.-C.)
lui fut fatale. Il se suicida pour ne pas tomber aux mains de
César, qui annexa son royaume à lempire de Rome.
Dans la partie centrale et occidentale de lAfrique du Nord, le
royaume vassal de Maurétanie devait survivre jusquau
temps de Caligula.
Cen était fait de lindépendance numide. Une
longue uvre de romanisation et de mise en valeur
commença. Sous Tibère, Tacfarinas souleva la grande
tribu numide des Musulames et, par la guérilla, tint
tête à larmée romaine de 17 à 23
après J.-C. Par la suite, la domination romaine ne rencontra
pas de graves obstacles en Numidie (alors quelle demeura
précaire en Maurétanie). La romanisation fut profonde,
comme en témoignent les nombreuses ruines de villes romaines
trouvées dans le pays. La fidélité au culte
punique de Baal-Saturne témoigne cependant du maintien, en
Numidie, des traditions religieuses pré-romaines.