Fondée par les Phéniciens au IXe siècle avant
Jésus-Christ selon les uns, au VIIIe selon les autres,
Carthage tira longtemps sa prospérité de ses relations
commerciales avec les divers peuples de lAfrique septentrionale
et de la Méditerranée occidentale.
Ses tentatives dexpansion territoriale en Sicile devaient
lentraîner dans de graves conflits, avec les Grecs
dabord, de 480 à 264 avant J.-C., puis avec les Romains,
de 264 à 146 avant J.-C. Ces luttes devaient prendre fin avec
la destruction complète de la ville et avec lannexion de
son territoire à lager publicus de Rome.
Létablissement dune colonie romaine sur le site de
Carthage fut lobjet des revendications du parti populaire. La
victoire de César allait aboutir à la reconstruction de
la ville, en 44 avant J.-C. Carthage redevient, sous Auguste, la
cité la plus prospère dAfrique ; elle rivalise
bientôt avec Rome par la splendeur de ses monuments. Cette
prospérité cependant ne devait pas survivre aux
troubles sociaux et religieux qui marquèrent, au IVe
siècle après J.-C., lhistoire de lAfrique
romaine. Pillée par les Vandales en 440 et reconstruite par
Justinien, Carthage sera finalement anéantie par les Arabes en
698.
1. Kart Hadasht, la « Ville
neuve »
Carthage est située au fond du golfe de Tunis, sur une presquîle baignée à lest par la mer, au sud par le lac de Tunis, au nord par la sebkha el-Riana qui formait jadis le fond du golfe dUtique avant quil ne soit comblé par les alluvions de la Medjerda. Des collines disposées en arc de cercle dominent la ville à louest ; sur la plus méridionale se dressait la citadelle de Byrsa, les autres abritaient des nécropoles. Au-delà, vers Sidi bou Saïd et La Marsa, sétendait une banlieue nommée Megara.
Les origines de la
cité
Selon une tradition transmise par Timée et reprise par
Justin, Carthage aurait été fondée vers 814
avant J.-C. par Elissa ou Didon, sur du roi de Tyr, Pygmalion,
accompagnée de notables tyriens fuyant leur patrie et de
Chypriotes. Lhistorien juif Josèphe, citant
Ménandre, Grec dAsie qui avait consulté les
Archives royales de Tyr, rapporte lévénement
à Elissa et le situe entre 825 et 819. Mais il est impossible
de démontrer que ces deux récits sont
indépendants lun de lautre, aussi leur valeur
probante demeure-t-elle incertaine. Le monument phénicien le
plus ancien trouvé à Carthage est une chapelle votive
sise au tophet de Salammbô ; on peut la dater, par la
céramique grecque placée dans un dépôt de
fondation et accompagnant les offrandes sacrificielles, aux environs
de 725 avant J.-C. Les tombes puniques connues ne sont pas
antérieures à la fin de ce siècle. Aussi,
plusieurs savants (notamment Rhys Carpenter) rejettent la tradition
littéraire et sappuient sur ces documents
archéologiques pour dater la fondation de la cité du
milieu du VIIIe siècle. Des sondages profonds
réalisés dans la plaine littorale située au pied
de Byrsa permettent de démontrer lexistence dun
habitat archaïque datant de la première moitié du
VIIIe siècle avant J.-C.
Nous ne savons pratiquement rien de la Carthage des VIIIe et VIIe
siècles avant J.-C., si ce nest quelle vivait de
cabotage, importait tous les produits fabriqués et avait pour
dieu tutélaire Baal Hammon, le El phénicien,
assimilé plus tard à Kronos et à Saturne.
Cest à lui quétaient voués les
enfants quon brûlait vifs en sacrifice (molek ), pour
assurer vie et prospérité à la cité, en
son tophet de Salammbô. Un siècle et demi après
la fondation de la ville, les Carthaginois sinstallent à
Ibiza (Baléares). Dès le milieu du VIe siècle,
la ville est gouvernée par des rois appartenant à la
famille des Magonides. Alliée aux Étrusques, elle
domine la Sicile du Sud-Ouest, prend pied en Sardaigne, repousse les
Phocéens de Corse à Alalia, secourt Gadir (Cadix)
assiégée par les Ibères, chasse Dôrieus et
ses colons spartiates de Tripolitaine. Dans les dernières
années du siècle, les lamelles dor de Pyrgi
attestent son entente avec Caere, et le premier traité
dalliance avec Rome est conclu. La richesse du mobilier
funéraire témoigne de sa prospérité et de
lactivité du commerce avec lÉgypte, la
Grèce et lÉtrurie.
Les guerres contre les
Grecs
En 480, Carthage, battue à Himère par Gelon, tyran
de Syracuse, évacue la Sicile à lexception de
Motye, tandis que la flotte perse, en grande partie formée de
contingents phéniciens, est écrasée à
Salamine. Les rois Magonides se replient sur lAfrique et
mettent leur territoire en valeur. Le roi Hannon dirige deux
expéditions maritimes de prospection, lune vers
lAfrique tropicale, lautre vers la Grande-Bretagne, afin
de trouver les ressources minières nécessaires au
développement de lindustrie lourde naissante.
À la fin du Ve siècle, la guerre éclate de
nouveau en Sicile contre les Grecs ; les Carthaginois semparent
de Sélinonte, Agrigente et Gela, mais Denys de Syracuse
regroupe les Hellènes et le roi Himilcon échoue devant
Syracuse. Les Magonides, attaqués par les aristocrates,
propriétaires fonciers qui souhaitent la paix, voient leur
pouvoir décroître. Une révolution religieuse
porte alors Tanit Pene Baal au sommet du panthéon punique,
à la place de son parèdre Baal Hammon qui est
relégué au second rang ; et, au tophet, des
stèles dinspiration grecque ornées de symboles,
dits « signes de la bouteille et de Tanit », remplacent peu
à peu les anciens cippes votifs dédiés à
Baal Hammon, en forme de trônes et de chapelles
égyptisantes. Le culte grec de Déméter est
introduit en 396. Vers 380, la noblesse se débarrasse
définitivement des Magonides et institue le tribunal des
Cent-Quatre qui surveille étroitement les
généraux, substitués aux rois à la
tête des armées. Le pouvoir réel est aux mains de
comités secrets peu nombreux qui se recrutent par cooptation.
Vers 360, Hannon le Grand, chef du parti « nationaliste »,
essaie vainement de renverser le régime oligarchique.
La lutte contre les Grecs de Sicile devient moins âpre
après la mort de Denys Ier (367). La diplomatie carthaginoise
suit de près lévolution de la situation en Italie
péninsulaire ; en 348, la vieille alliance avec Rome est
renouvelée ; cette dernière en profite pour subjuguer
la Campanie et le Latium. Carthage incite ses alliés
étrusques à conserver la neutralité pendant les
guerres samnites ; elle finira par sacrifier lalliance
tyrrhénienne à lalliance romaine. Cependant, les
Grecs reprennent loffensive en Sicile avec Timoléon, qui
inflige une grave défaite à larmée punique
au Crimisos (339), et surtout avec Agathocle, qui prend le pouvoir
à Syracuse en 312 et débarque en Afrique en 310.
Linvasion provoque des troubles religieux et politiques graves
à Carthage, et le roi Bomilcar tente vainement, une nouvelle
fois, de renverser le pouvoir oligarchique (307). Léchec
dAgathocle et de Bomilcar permet au régime oligarchique
datteindre son apogée, qui durera près dun
demi-siècle (307-263). Inquiétée un moment par
limpérialisme macédonien (Alexandre prend Tyr en
332), Carthage conclut une entente économique profitable avec
la dynastie lagide qui domine lÉgypte, la Palestine et
la Phénicie. Elle accueille largement les influences grecques
venues de Sicile, dItalie méridionale et
dÉgypte. Aristote, qui étudie sa constitution
vers 330, la compare à celles des cités grecques
quil considère comme les mieux gouvernées.
Dominant économiquement la Méditerranée
occidentale et entretenant de bonnes relations avec lOrient,
lÉtat punique jouit dune grande
prospérité.
Les guerres contre
Rome
Cette situation est gravement ébranlée par la
première guerre avec Rome (264-241). Carthage et Rome
sétaient encore entendues pour éliminer Pyrrhos
dÉpire qui tentait de relever lhellénisme
occidental (278-276). Mais Rome fut entraînée par ses
associés campaniens à prendre pied en Sicile. Le
gouvernement punique ne sut ni voir venir le péril, ni le
conjurer à temps. Dès les premières
années de la guerre, il perdit la province sicilienne,
à lexception de quelques places fortes, et subit
même de graves défaites navales (Myles en 260). En 256,
Regulus renouvela la tentative dinvasion dAgathocle. Il
échoua ; mais la guerre, en se prolongeant, ruina
léconomie de Carthage qui dut accepter la paix en
241.
Cet échec provoqua la chute du régime oligarchique. Une
révolte sociale menée par les mercenaires menace
lexistence même de Carthage. Elle est
maîtrisée par Amilcar Barca, général qui
sétait illustré en Sicile et qui mit fin au
régime aristocratique. Carthage sera désormais
gouvernée par deux suffètes, élus annuellement
par lAssemblée populaire devenue souveraine. Au lieu
détablir sa dictature en Afrique, Amilcar
préfère fonder en Espagne un État
théoriquement soumis à Carthage, mais dont il est le
maître et où il trouve les ressources nécessaires
à la revanche contre Rome. Après sa mort et le
règne de son gendre Asdrubal, ses projets sont
réalisés par son fils Hannibal. Celui-ci projette de
séparer de Rome ses alliés de Campanie et dItalie
méridionale, en ébranlant la
Confédération italique avec laide des Celtes. Il
est tout près du succès après la victoire de
Cannes (216) qui entraîne la défection de Capoue,
Tarente et Syracuse. Mais, isolé par la défaite de son
beau-frère Asdrubal vaincu et tué à la bataille
du Métaure, affaibli par les défections des Campaniens
et des Apuliens, il ne peut assiéger Rome. Une armée
romaine conduite par Scipion sempare des possessions espagnoles
de Carthage, passe en Afrique, et Hannibal, contraint de quitter
lItalie, est écrasé à Zama en 202. La paix
est signée, la puissance de Carthage détruite à
jamais. La troisième guerre punique éclate en 148 et,
en 146, Scipion Émilien rase Carthage.
Les ruines de Kart
Hadasht
La ville de la période hellénistique était, daprès Tite-Live, entourée dune enceinte fortifiée de 34 kilomètres de longueur. Il nen reste que des blocs épars le long du front de mer et un fossé appartenant aux défenses extérieures qui barraient listhme à hauteur de Chott Bahira. Les deux lagunes qui sétendent aujourdhui parallèlement au rivage entre Douar ech Chott et Le Kram sont sans doute les vestiges des ports intérieurs ceints de portiques ioniques décrits par Appien. Le bassin rectangulaire qui débouche dans la baie du Kram occuperait lemplacement du port de commerce, et le bassin circulaire entourant un îlot, celui du Cothôn ou port de guerre, au centre duquel se dressait le palais de lAmirauté. Au tophet de Salammbô, seul le niveau antérieur au IIIe siècle a subsisté ; il est formé de tertres truffés durnes contenant les cendres des enfants offerts en sacrifice et surmontés dex-voto, en forme de pilier funéraire ou de stèles à fronton triangulaire souvent flanqué de deux acrotères, ornées des emblèmes divins encadrés dun décor floral ou architectural hellénisant. La couche supérieure a été bouleversée par les Romains, et les stèles arrachées de leur tertre, brisées, dispersées. Une chapelle de faubourg, détruite par lincendie de 146, a été découverte sous la gare actuelle de Salammbô. Elle était décorée de colonnes en trompe lil alors fort à la mode et abritait des statues de divinités en terre cuite, alignées sur une banquette. Les socles et les montants des trônes de ces simulacres étaient ornés de plaques de terre cuite estampées, représentant des sphinx et des Victoires tropéophores émergeant de buissons dacanthe, de style alexandrin. Des plaques de terre cuite analogues ont été aussi exhumées dans un sanctuaire domestique attenant à une villa située à Amilcar et dans la favissa où se trouvaient entassés des brûle-parfum et des bustes de Déméter provenant du temple de cette déesse sans doute. Sur les premières, on voit des Victoires ailées, un masque de Gorgone, Scylla et une procession dionysiaque, sur les autres une naissance dAphrodite et des Amours ailés. Sur la colline de Byrsa, les restes de maisons puniques détruites lors du siège de 146, des fragments de frises ou de corniches de céramique rehaussées de couleurs vives, des colonnettes tapissées de stuc laissent à penser que ces riches demeures ne différaient guère de celles des autres cités méditerranéennes de lépoque, si ce nest par un goût assez prononcé pour les décors égyptisants. Les cimetières de la fin du IVe siècle et du IIIe ont livré de magnifiques sarcophages en marbre. Les uns portent sur leur couvercle leffigie dun homme barbu, la tête posée sur un coussin selon la mode étrusque, et tenant une lampe ou une cassolette ; le plus remarquable est orné dun simulacre de Tanit, coiffée de la dépouille de lépervier et drapée dans les ailes repliées de loiseau ; certains ont la forme dun temple grec, au toit à double pente ; les frontons sont peints de motifs divers, Scylla, griffons affrontés, les bandeaux latéraux de rinceaux horizontaux encadrant une tête humaine. À lépoque des guerres puniques, les Carthaginois se faisaient souvent incinérer ; leurs restes étaient alors déposés dans des coffrets en calcaire, tandis quune stèle creusée dune niche abritant un portrait fort schématique du défunt ou une statue grossière se dressait au-dessus de la tombe.
2. Carthage romaine
La reconstruction de la
ville
En
123, le tribun Caius Gracchus fait voter la création à
Carthage dune colonie romaine. Le projet, violemment combattu
par les oligarques, avorte aussitôt. Il est repris par Jules
César, mais celui-ci ne put le réaliser avant son
assassinat. Cest seulement en 44 avant J.-C. que les triumvirs,
exécutant les volontés du dictateur, installent une
colonie qui occupe non lemplacement de lancienne ville
punique, mais la zone située au nord-ouest, autour du village
arabe de La Malga. Après des vicissitudes résultant des
guerres civiles, Octave renforce cette colonie par un nouveau
contingent de trois mille familles en 29 avant J.-C. Il fait alors
recouvrir le sol maudit en 146 par une cadastration
régulière dans laquelle sinscrivent maisons et
édifices publics ; le centre de cette cadastration se trouve
sur lactuelle colline de Byrsa, au chevet de la
cathédrale ; elle a la forme dun carré de 1 400
mètres de côté, avec un angle battu du
côté nord-ouest correspondant à
lemplacement de la colonie césarienne.
Cette colonie possédait un vaste territoire aux limites
dailleurs mal connues. On sait quil comprenait des pagi
ou cantons, situés dans louest de la Tunisie actuelle,
dans la région de Dougga, à 100 kilomètres de
Carthage. Il est possible que cet immense domaine ait
été dun seul tenant : sy inséraient
des terres laissées aux cités indigènes, des
latifundia appartenant à lempereur et aux
sénateurs romains et même le territoire dautres
colonies moins importantes. Théoriquement, le sol de Carthage
restait propriété publique du peuple romain. Les traces
de cette fiction juridique ne disparurent quavec Septime
Sévère, qui conféra aux Carthaginois le jus
italicum comportant pleine propriété de leurs
terres.
Les institutions
Les
institutions de la Colonia Julia Karthago étaient, comme
celles de toutes les colonies romaines, calquées sur celles de
la République romaine. Lassemblée des citoyens
élit annuellement les magistrats, dont les principaux sont les
duumvirs . Les magistrats et anciens magistrats forment le
sénat municipal ou ordo . En outre, Carthage est la
résidence du proconsul, gouverneur de la province
dAfrique, toujours pris parmi les sénateurs romains
parvenus au sommet de la hiérarchie ; il est assisté de
légats. Le procureur gère les intérêts
financiers de lempereur ; il est le second personnage de la
province. Lun et lautre sont assistés dun
nombreux personnel administratif, les officiales , en majorité
esclaves ou affranchis, dont on a retrouvé les tombeaux.
Carthage est également le siège du conseil provincial,
composé de délégués de toutes les
cités africaines, qui choisit chaque année le
prêtre du culte impérial. Très vite, les
descendants des colons italiens se fondent avec les Africains qui
accèdent de plus en plus nombreux au droit de cité
romain. Sy ajoutent en assez grand nombre des immigrés
venus de lintérieur de lAfrique et de toutes les
régions de lEmpire. Le chiffre de la population est
impossible à apprécier exactement. Les Anciens nous
disent seulement que Carthage était la deuxième
agglomération de lOccident après Rome, et
quelle ne le cédait guère aux principales villes
dOrient. Or Rome a compté au moins 500 000 habitants et
probablement un million ; Alexandrie et Antioche en avaient plusieurs
centaines de milliers. Le chiffre de 300 000 Carthaginois peut
être considéré comme raisonnable.
Les édifices publics et privés de la Carthage
augustéenne ont été presque tous détruits
lors de reconstructions massives, dont les plus importantes se
situent dans la seconde moitié du IIe siècle et au IVe.
Très rares sont les murs en opus reticulatum , les
mosaïques simples qui peuvent remonter au début de
lère chrétienne. Même les sculptures
datables sont en très grande majorité
dépoque antonine ou sévérienne. Font
exception : lautel de la gens Augusta, dédié vers
la fin du règne dAuguste, et un relief
représentant Mars Ultor et Vénus Genitrix (musée
dAlger).
Une histoire
mouvementée
Lhistoire de Carthage aux deux premiers siècles est
fort paisible. En 70, dans la guerre civile qui suit la chute de
Néron, le proconsul Pison tente de se faire proclamer
empereur, mais son complot échoue. Sous le règne de
Commode et le proconsulat de Pertinax (180 apr. J.-C.), les
prophètes qui hantent le temple de Caelestis et quon
appelle les « chiens de la déesse » provoquent de
lagitation, probablement pour protester contre la romanisation
du culte. Le premier événement politique vraiment grave
survient en 238 ; le proconsul Gordien ayant été
proclamé empereur par les Thysdritains, Carthage, ainsi que
lAssemblée des villes de Proconsulaire, prend fait et
cause pour lui, contre Maximin le Thrace. La légion IIIe
Augusta, commandée par Capellien, fidèle à
Maximin, bat les milices des cités et ravage la ville. Cette
dévastation est toutefois moins grave que celle qui
résulte en 311 de lusurpation de Domitius Alexander.
LAfrique est alors dans lobédience de Maxence, en
même temps que lItalie. Le vicaire dAfrique se fait
proclamer empereur ; il semble appuyé par des
éléments sécessionnistes, ou du moins
désireux de supprimer lexportation du blé
dAfrique en direction de Rome. Les docks du port où ce
blé était entreposé sont détruits.
Maxence envoie une expédition punitive qui anéantit en
grande partie la ville. Mais, peu de temps après, il est
vaincu et tué par Constantin. Carthage est somptueusement
rebâtie.
Les ruines de la Carthage
impériale
Les thermes
Les vestiges les plus impressionnants de la Carthage impériale
sont ceux des thermes dAntonin, construits sur lordre de
cet empereur, entre 145 et 162, au nord de la ville, le long du
rivage. Leurs dimensions colossales (près de 300 m de long),
la somptuosité de leur décor les classent parmi les
plus remarquables des thermes impériaux. Un axe
perpendiculaire à la mer sépare lédifice
en deux parties symétriques. On entrait par les faces
latérales. Les bains se trouvaient à
létage. Ils sordonnaient autour dune immense
salle centrale, aux voûtes soutenues par douze colonnes
jumelées de granit gris, couronnées de chapiteaux
corinthiens en marbre blanc, de plus de douze mètres de
hauteur, et à laquelle on accédait en traversant
vestibules et palestres. Les piscines froides sont à
lest ; un portique ouvert sur le golfe les borde ; les bains
chauds, à louest, comprennent un caldarium de plan
rectangulaire fermé par deux absides semi-circulaires et
situé entre deux salles polygonales. On ne voit plus
aujourdhui que le rez-de-chaussée des thermes et le sol
des piscines : au centre et à lest, les salles à
pilastres, arasées ou ayant conservé leurs voûtes
qui soutenaient les palestres et la salle centrale ; à
louest, les salles polygonales à double voûte
circulaire portée par un pilier central et des piliers
rayonnants, séparées par des magasins
voûtés qui portaient les bains chauds. Ces pièces
étaient encombrées de blocs provenant des voûtes
de létage (lun deux est recouvert dune
mosaïque à cubes de verre polychrome),
déléments de sols pavés de mosaïque
noire et blanche (encadrant des tableaux polychromes), de fûts
de colonnes de porphyre ou de marbre de Chemtou vert et rose, de
chapiteaux historiés (chapiteau aux anguipèdes,
à la tête de Caelestis, à la chouette), de
débris de statues (dont les portraits des empereurs Antonin le
Pieux et Caracalla, des impératrices Livie et Faustine, et
deux hermès ou statues piliers représentant lune
un Berbère, lautre un Nègre). Une vaste esplanade
entoure les thermes sur les trois côtés terrestres ;
elle est bordée de salles de réunion richement
décorées de stucs, de fontaines, de statues (on y a
exhumé un magnifique portrait de Constance II), de latrines
semi-circulaires. Le forum devait se trouver près des thermes,
au sud, à lemplacement de lancien palais
beylical.
Le port
Du port et des docks, il ne reste quune faible partie des
murs de fondation : mur courbe soutenant des magasins encerclant le
port rond du Kram, voûtes et piliers portant des magasins
alignés le long du bassin rectangulaire de Salammbô,
édifiés au-dessus du champ de stèles du tophet.
Il se peut que lancien Cothôn punique, situé au
nord de cet ensemble, ait conservé sa fonction de rade
militaire, car on y a trouvé des restes de quais et de dallage
datant du IVe siècle après J.-C.
Les théâtres et le
cirque
La
cavea du Théâtre était creusée dans les
flancs de la colline qui porte ce nom et qui domine la ville au
nord-ouest : cest là quApulée
prononça Les Florides . LOdéon ou
théâtre couvert fut édifié sous les
Sévères, au sommet de cette colline.
Lhémicycle des gradins était tourné vers
le nord et reposait sur un dispositif de couloirs semi-circulaires,
voûtés et étagés en
amphithéâtre, qui servaient à la circulation des
spectateurs. Lédifice était orné de
colonnes corinthiennes en marbre de Chemtou vert et rose, et de
statues. Le cirque et lamphithéâtre se dressaient
au sud-ouest de la ville. Aujourdhui, on distingue à
peine lemplacement de la piste et de la spina du cirque.
Lamphithéâtre aussi a été
rasé, mais Edrisi, voyageur arabe du XIIe siècle, le
décrit ceint de cinquante arcades, surmontées de
plusieurs rangs darcades similaires, ornées de reliefs
représentant des hommes, des animaux et des navires. Les
carceres fermées par des herses occupaient le sous-sol du
podium. À lorigine, Carthage était
alimentée en eau par des réservoirs
voûtés, dans lesquels sinstalla le village arabe
de La Malga, et par les citernes des maisons privées. Puis il
fallut construire un aqueduc amenant leau du massif du Zaghouan
pour approvisionner les thermes dAntonin.
(à droite les ruines des aqueducs qui
acheminaient l'eau)
Les habitations
Les riches demeures sétageaient sur les pentes des
collines, bien aérées. La mieux conservée se
dresse sur la colline du Théâtre, face à la mer.
Le rez-de-chaussée est occupé par des boutiques ; au
premier, les pièces de réception et le laraire,
tapissés de marbre blanc, pavés de mosaïques,
souvrent sur une enfilade de jardins et de portiques,
agrémentés de bassins. Une magnifique mosaïque
figurant une volière où des oiseaux
sébattent dans le feuillage couvrait le péristyle
du viridarium ; elle a donné son nom à cette maison.
Des bains chauds et des magasins se cachent dans la partie amont.
Mais, en général, seules les mosaïques de sol des
habitations ont été conservées : celles de La
Chasse , du Couronnement dAriadne , de lAurige Scorpianus
, du Seigneur Julius , du Paon , des Saisons ... Lune de ces
demeures est venue au jour lorsquon a creusé les
fondations du lycée de Sainte-Monique. La pièce
principale est divisée en trois parties. Un tableau de
mosaïque, situé au centre, porte le portrait dun
personnage vu de face, en buste, coiffé dun
diadème, vêtu dune tunique recouverte dun
manteau de pourpre et tenant un sceptre ; la tête est
auréolée dun nimbe ; cette composition ressemble
aux personnifications didées philosophiques, Sagesse,
Magnanimité, Force ou autres, à la mode en Orient aux
environs de 400 après J.-C. Le reste du sol est couvert
dun semis de roses.
Certains monuments ont servi de siège à des
associations religieuses ou civiles. Lun deux,
situé le long de la route dAmilcar, abritait une secte
mystique de douze membres, vénérant Sylvain, dieu
berbère assimilé à Jupiter Hammon.
Pourchassés par les chrétiens après la paix de
lÉglise, ces dévots païens
entassèrent dans un caveau leur matériel cultuel, dont
une statue de Déméter et une de Vénus, et en
célèrent laccès par une mosaïque. Au
pied de la colline de Junon, du côté nord, se tenait le
« club » de la faction du cirque des Bleus, comprenant une
vaste salle à colonnes de plan basilical, une cour à
péristyle pavée de mosaïques représentant
une chasse aux fauves, une frise denfants chasseurs,
exécutées par léquipe qui travailla
à Piazza Armerina, et une immense salle où les dalles
de marbre polychrome alternent avec quatre-vingt-six tableaux de
mosaïque, qui représentent des chevaux de course dont les
noms sont indiqués par des rébus. Enfin, à
louest des thermes dAntonin se trouvait la schola des
augustales vouée au culte impérial. Une cour centrale,
fermée par une abside, creusée dun bassin au
centre et bordée de colonnes sur ses côtés les
plus longs, donnait accès à louest à des
bureaux et à lest à une salle de réception
trifoliée. Le pavement dune des absides
représente des putti accrochant des guirlandes à la
coupole dun kiosque flanqué, aux deux ailes, dune
colonnade fermée par un rideau où devait se
dérouler une cérémonie du culte impérial.
Dans le quartier des Ports, un palais fastueux sélevait
au-dessus de larea du tophet punique. Il nen reste que
des fragments de fresques figurant un thiase marin et des panneaux de
mosaïques ornant les sols qui représentent des Saisons
nimbées et ailées, datant de la première
moitié du IVe siècle. La banlieue nord de Carthage,
lancienne Megara, était couverte de villas et de
jardins.
Les sanctuaires
Aucun des grands sanctuaires de la Carthage romaine na été retrouvé. Un petit metroon a cependant été reconnu sur le flanc ouest de la colline de Byrsa ; une statue de Cérès, couronnée dépis, une inscription mentionnant une confrérie de prêtres de Cérès (sacerdotes cereales ) ainsi que de nombreux fragments architecturaux décorés de raisins et dépis ont été exhumés sur le plateau de Bordj Djedid, là où devait sélever le temple de la déesse ; de même, au tophet de Salammbô, on a retrouvé des vestiges de la modeste chapelle dédiée à Saturne, un buste du dieu, une mosaïque consacrée au « Seigneur » par Erucius et des cippes. Enfin, un bloc pesant plusieurs tonnes, portant linscription Iussu Domini Aescu (lapi ), découvert sur la colline du Théâtre, indique sans doute lemplacement du temple de ce dieu, qui succéda à celui dEshmoun.
3. Lapport des fouilles
depuis 1973
Carthage est la seule grande ville antique du monde méditerranéen dont la connaissance a été profondément renouvelée. De 1973 à 1989, la grande campagne internationale de Carthage patronnée par lU.N.E.S.C.O. a fait participer des dizaines de missions venant de nombreux pays à létude des vestiges carthaginois à travers toutes les périodes.
La ville punique
Grâce aux fouilles, la ville punique, jusque-là
mystérieuse, est réapparue, et son évolution est
mieux connue. Malgré de grandes lacunes, les lignes
générales de lhistoire de lantique
cité peuvent être esquissées. Surtout parce que
la plus marquante, la dernière phase qui précède
la destruction de 146 avant J.-C., a été mise au jour.
Un quartier a été découvert,
dégagé et restauré sur le flanc sud de
lacropole de Byrsa. Ce quartier, miraculeusement
préservé, doit sa survivance aux énormes travaux
entrepris par le constructeur romain : pour établir une
immense plate-forme sur la colline, on a écrêté
le sommet et comblé les versants sous dénormes
quantités de remblais maintenus à mi-pente par des murs
de soutènement. Ce sont ces remblais qui ont enfoui et
préservé les vestiges.
Cest un quartier dhabitation édifié
à flanc de colline selon un plan régulier, suivant une
orientation nord-est - sud-ouest ; chaque îlot rectangulaire
(30 m Z 15 m environ), entouré par de larges rues
orthogonales, sétage par paliers successifs suivant la
pente et comprend plusieurs habitations de plan allongé
comportant différentes variantes : donnant sur la
façade, une grande salle longée dun couloir
daccès conduit vers une courette centrale à ciel
ouvert et débouche au fond sur un ensemble de petites
pièces. Au sous-sol de chaque unité, une citerne
très profonde était approvisionnée par les eaux
de pluie provenant des terrasses. Le sol est pavé dun
tuileau de poterie concassée parsemé de petits cubes de
marbre blanc. Les murs sont couverts dun stuc blanc, parfois
peint. Nul doute que cette architecture comportait plusieurs
étages.
Ce lotissement a été daté de la fin du IIIe
siècle début du IIe siècle,
cest-à-dire de la seconde guerre punique. Après
sa défaite à Zama en 203, Hannibal, devenu
suffète de sa patrie, aurait été le promoteur de
cet ensemble qui révèle une organisation urbanistique
et architecturale remarquable.
Ce quartier aura la vie courte, puisque, en 146, il sera
détruit par les soldats de Scipion, puis enfoui sous les
remblais des terrassements de la ville romaine. Ce sont les fouilles
récentes menées par léquipe
française dans le cadre de la campagne internationale qui le
remettront au jour.
Un autre secteur essentiel de Carthage a fait lobjet de travaux
de fouilles et de recherches : ce sont les ports puniques.
Lidentification des anciens ports de Carthage avec les deux
lagunes actuelles nétait pas assurée et certains
la contestaient. Léquipe britannique a pu, malgré
létat fangeux actuel des lagunes, les remaniements
opérés à lépoque romaine et
labandon ultérieur, reconstituer létat et
laspect des prestigieux ports de Carthage et plus
particulièrement le port militaire circulaire.
Larchéologie a confirmé la description quen
avait faite Polybe, reprise par Appien : « Les ports de Carthage
étaient disposés de telle sorte que les navires
passaient de lun dans lautre ; de la mer, on
pénétrait par une entrée large de 70 pieds
[20,72 m] qui se fermait avec des chaînes de fer. Le
premier port, réservé aux marchands, était
pourvu damarres nombreuses et variées. Au milieu du port
intérieur était une île. Lîle et le
port étaient bordés de grands quais. Tout le long de
ces quais, il y avait des loges, faites pour contenir 220 vaisseaux,
et, au-dessus des loges, des magasins pour les agrès. »
On sait par les fouilles britanniques que cet état date de la
dernière période de Carthage et quil ne peut
être antérieur au IVe siècle avant J.-C.
Autre révélation des fouilles internationales : la
découverte des niveaux et des vestiges du Ve siècle,
cest-à-dire de la période dexpansion de
Carthage, sous les Magonides (fouilles allemandes). Sur la plaine
littorale qui sétend au pied de la colline de Byrsa,
à labri dune puissante muraille garnie de tours,
fut construit alors un nouveau quartier dhabitation selon un
plan régulier ; il était desservi par une voie de
communication aboutissant à une porte maritime défendue
par des bastions. Au IIe siècle, certaines demeures furent
agrandies aux dépens dautres : ordonnées autour
dune cour à colonnade, les ailes de la maison
comportaient désormais au moins deux niveaux.
Larchitecture en était soignée : stucs peints aux
murs, sols en mosaïques ; puits et citernes assuraient
lapprovisionnement en eau. Lincendie de 146
détruisit ce quartier. Lorsque les Romains reconstruisirent la
ville, ils reprirent le même schéma dorientation
urbanistique. Un sondage stratigraphique profond opéré
sur laxe du Decumanus Maximus dans la plaine littorale, au pied
de la colline de Byrsa, a permis dobtenir une séquence
chronologique des différentes occupations urbaines de la
ville.
Au plus profond du sondage, à 8 mètres au-dessous du
niveau actuel, on a distingué plusieurs couches de sol en
terre battue, datées à partir de la première
moitié du VIIIe siècle grâce à des
fragments de céramique dimportation grecque,
phénicienne, chypriote et ibérique, ainsi que de la
céramique locale.
Au-dessous des couches archaïques était
édifié un grand temple que lon a pu identifier
grâce aux éléments architecturaux
retrouvés. Une grande quantité de sceaux
sigillés qui fermaient les rouleaux de papyrus permet
daffirmer lexistence darchives qui ont
brûlé.
Le temple serait consacré à Baal Hamon Jeune,
assimilé au dieu égyptien Horus Harpocrate, dans lequel
les Romains reconnaissaient Apollon.
Après la destruction de la ville punique, une grande basilique
civile aurait été élevée, et lon
sait par les textes anciens quun tel monument donnait sur le
forum de la ville basse, qui aurait succédé à
lagora punique.
Un autre témoignage important de la Carthage punique est le
« tophet », sanctuaire de Tanit et de Baal Hamon. On sait
par diverses sources antiques que les Carthaginois pratiquaient des
sacrifices de jeunes enfants en lhonneur de divinités
tutélaires de la ville. Cest par hasard que ce lieu
consacré a été découvert, en 1920,
à proximité du port marchand. Plusieurs milliers de
stèles votives surmontant des urnes qui contenaient les restes
des sacrifiés ont été recueillies par les
fouilleurs. Comme elles se sont superposées au cours du temps,
on a pris lhabitude de les répartir en trois grandes
périodes : la plus ancienne, au niveau le plus bas, allant de
715 à 600, puis la deuxième de 600 à 300, enfin
la dernière de 350 à 146. Cest là
qua été découvert le dépôt le
plus ancien recueilli à Carthage : constitué de
céramiques dimportation chypriote et orientale, il
remonte à 725 avant J.-C. La découverte du tophet
démontre la persistance des sacrifices humains durant toute
lépoque punique, même si lon y substitua
parfois des animaux. La fouille menée par une équipe
américaine dans un secteur du tophet a confirmé les
observations faites auparavant.
Sur la pente méridionale de Byrsa, on a découvert une
nécropole très ancienne remontant à la fin du
VIIIe et au début du VIIe siècle. Ce sont les poteries
importées constituant le mobilier funéraire qui
permettent de dater les tombes : en particulier les « kotyles
», gobelets à boire à paroi très fine et
décorée, produits à Corinthe et diffusés
sur le pourtour de la Méditerranée.
De fait, cest paradoxalement par les nécropoles que la
Carthage punique a survécu et a été
redécouverte : dès la fin du XIXe siècle, les
fouilles de Gauckler et surtout celles de Delattre ont
révélé la multitude des tombes, caveaux et
fosses étalés sur les versants des collines de Borj
Jédid et de lOdéon ainsi quà Byrsa.
Ces tombeaux ont fourni une quantité innombrable dobjets
hétéroclites ayant constitué le mobilier
funéraire : en dehors des stèles et des sarcophages, ce
sont des milliers de vases en terre cuite, de lampes,
accompagnés damulettes, de bijoux parmi lesquels
figurent des pièces dimportation que lon peut
dater. Les fouilles de Delattre, qui se sont étendues sur
plusieurs années, ont rempli le musée de Carthage, sans
que toutes les précautions scientifiques aient
été prises. Le mérite
dHélène Bénichou-Safar est davoir
repris lensemble de la question et den avoir
présenté une étude complète : la carte
quelle a établie permet de se faire une idée de
lextension et de la chronologie de la ville des morts.
Sans être exhaustives, les fouilles et les recherches
effectuées depuis 1973 ont beaucoup contribué à
faire connaître lhistoire de Carthage : la mise au jour
des vestiges architecturaux, laccumulation des niveaux
doccupation ou de destruction qui se sont succédé
sur le site permettent den ébaucher une histoire
archéologique à partir de lépoque
archaïque, même lorsque ces niveaux se ramènent
à quelques horizons entassés ou à quelques
indices de murs évanescents. Leur datation est dun
apport considérable. La pratique du terrain
révèle aussi la fragilité de la construction
punique constituée de grands blocs superposés encadrant
des assises régulières de moellons, sans liant autre
que la terre ou la glaise ; ces murs se délitent facilement
une fois abandonnés. De même, lanalyse de certains
documents jusque-là négligés a permis de saisir
ou de percevoir des phénomènes économiques
nouveaux : en particulier la céramique dimportation
grecque dont la présence fréquente dans les endroits
fouillés révèle des échanges commerciaux
assez soutenus, même durant les périodes
dhostilités.
La capitale de lAfrique
proconsulaire
À lépoque romaine, Carthage est la capitale de
lAfrique proconsulaire. La nouvelle ville
sélève sur le même emplacement que la
métropole punique, au-dessus des vestiges détruits un
siècle auparavant. Demblée, le pouvoir
impérial la voudra majestueuse. Le plan cadastral ayant pour
centre la colline de Byrsa en est la preuve : le croisement du
Decumanus Maximus avec le Kardo Maximus détermine un
réseau de rues et davenues secondaires enserrant des
îlots rectangulaires couvrant lensemble de la
cité. Cest à lintérieur de ces
insulae , ou îlots, que prendront place les monuments publics
et privés. Seuls les noyaux en béton des structures ou
des voûtes ont subsisté pour les grands monuments. Des
maisons, ce sont en général les citernes
indestructibles et les pavements de mosaïques inutilisables qui
ont survécu. Des grands temples et de leurs annexes, de
même que des basiliques immenses, rien apparemment na
subsisté ! Leurs structures architecturales spécifiques
ainsi que la qualité de leur matériau sont responsables
de leur quasi-disparition : colonnes, corniches et charpentes de
pierre, de marbre et de bois ont été bien
évidemment exploitées et
récupérées avec profit. Ainsi,
lemplacement du forum de Carthage est resté
ignoré jusquaux fouilles récentes : le
décor architectonique, les murs en grand appareil et les
grosses dalles de pavement ont totalement disparu. On sait
aujourdhui que le cur de la cité
sélevait au sommet de la colline de Byrsa : vaste
programme de construction commencé sous Auguste, agrandi par
Antonin le Pieux en 155-156 et achevé par Marc Aurèle,
ce qui fit de cette réalisation lune des plus grandioses
de lempire. Il suffit dévoquer la grandeur de la
basilique judiciaire, longue de 84 mètres, large de 44
mètres, qui fermait du côté est lesplanade
du forum (elle noffre plus aujourdhui quun vaste
terre-plein dans le jardin du musée).
En bas, sur la côte, dans lîlot situé au
milieu du bassin du port circulaire, une autre place, circulaire,
elle aussi entourée dun double portique, lun
tourné à lintérieur, lautre
tourné à lextérieur sur les quais,
était le centre portuaire. On date laménagement
de cette place et des portiques, ainsi que le
réaménagement du bassin, du règne de
lempereur Commode qui avait créé la Classis
Commodiana en 186, confirmant ainsi le rôle éminent du
port de Carthage.
Ce sont là les deux principaux apports de la Campagne
internationale de fouilles de Carthage pour la période
romaine. Une autre découverte a trait à la
période tardive.
Les envahisseurs
successifs
Cadastrée, Carthage fut pendant longtemps une ville ouverte
à la fois sur la mer par son port et sur son
arrière-pays par les nombreuses routes qui y
convergeaient.
Ce nest quau début du Ve siècle que,
sentant venir le danger barbare, elle se prémunit contre
larrivée des envahisseurs en construisant à la
hâte une muraille précédée dun
fossé qui fait le tour de lagglomération.
Cette enceinte nempêchera pas lentrée des
Vandales et leur installation dans la ville. De même
quelle nempêchera pas leur expulsion un
siècle plus tard lors de la reconquête byzantine, ni la
prise de la ville par les Arabes et son démantèlement
en 698. Une muraille vaut ce que valent les hommes qui la
défendent : celle de Carthage a donc disparu,
démantelée pièce par pièce par le pillage
et lexploitation de ses matériaux, mais les
archéologues ont retrouvé certaines traces de ses
fondations : H. Hurst dans un grand sondage au sud de Salambô,
Carandini et Wells le long de lescarpement qui limite le
quartier de lOdéon.
Après un bref essor, marqué par la volonté de
Byzance de conforter sa province reconquise, Carthage ne tarde pas
à entrer en décadence. Délaissée par le
pouvoir central préoccupé par sa propre survie,
abandonnée progressivement par sa population dont
laristocratie émigre, Carthage, affaiblie et
dépeuplée, va être prise en 698 par le
conquérant arabe Hassan Ibn Nôoman qui
labandonnera au profit de Tunis. Désormais,
lantique Carthage va servir de carrière pour la nouvelle
capitale de cette province de lempire arabo-musulman
naissant.
Perspectives
davenir
Le
développement économique introduit par le protectorat
français et laccroissement démographique qui
sensuivit avaient déclenché lexpansion
urbaine. Cest alors que cette zone de Carthage,
jusque-là périphérique, se rapprocha de la
nouvelle capitale, Tunis, et entra dans sa zone dattraction. Le
cardinal Lavigerie avait pris possession de toutes les hauteurs du
site pour y édifier des monuments et des centres religieux.
Visionnaire, il avait projeté de refonder la nouvelle capitale
catholique du récent protectorat à lemplacement
de lantique métropole africaine, punique, romaine et
chrétienne. Lérection dune immense
cathédrale ainsi que dun grand séminaire au
sommet de Byrsa, haut lieu et centre géométrique de la
presquîle, devait être le cur de cette
résurrection. Lhistoire en décida autrement. La
nouvelle ville de Tunis sétant établie au
voisinage de la médina, le site de Carthage fut
épargné. Mais la progression urbanistique constante de
Tunis tout au long de ce siècle a fini par atteindre Carthage
: elle nest plus aujourdhui quune des dix-neuf
communes satellites dune vaste banlieue et soumise à
lattraction et à la loi de Tunis. La confrontation entre
la poussée urbaine et larchéologie na donc
pas été de tout repos. Cest au prix de nombreux
faits accomplis et de dures concessions à la construction que
lon a pu constituer une zone archéologique non
aedificandi : cette réserve doit constituer le futur parc
archéologique de Carthage. Le site de Carthage figure depuis
1979 sur la liste du Patrimoine mondial établie par
lU.N.E.S.C.O. Après avoir fait lobjet dune
grande campagne internationale, il est désormais
protégé de façon draconienne par la loi de
classement nationale du 7 octobre 1985.