Bulla Regia est un site archéologique important du nord-ouest
de la Tunisie, à proximité de la ville actuelle de
Jendouba, en lisière de la grande plaine traversée par
la Medjerda : les ruines sont repérées sur une
cinquantaine dhectares entre les nécropoles à
lest et à louest, la plaine au sud et le Djebel
RBia (649 m) au nord (cf. A. Beschaouch, R. Hanoune, Y.
Thébert, Les Ruines de Bulla Regia , coll. de
lÉcole française de Rome, 28, Rome, 1977).
Avant la conquête romaine des IIe et Ier siècles avant
notre ère, cest le siège dune
résidence royale de la dynastie numide, qui participe des
civilisations punique, néo-punique et hellénistique. La
romanisation de Bulla Regia saccomplit surtout à partir
de lépoque augustéenne où la cité
est oppidum liberum , puis au Ier siècle de notre ère,
sous Vespasien, où elle devient un municipe, et sous Hadrien,
au début du IIe siècle, où elle est
élevée au rang de colonie (colonia Aelia Hadriana
Augusta Bulla Regia ). Cette petite ville va prospérer sous
lempire, au moins jusquau IVe siècle, dans le
cadre de la province dAfrique proconsulaire, au bord de la
grande route de Carthage à Hippo Regius (Annaba, en
Algérie) : elle se couvre de monuments et dhabitations,
et donne naissance à quelques grandes familles, dont certains
membres occupent une place élevée dans la
société et ladministration romaines (cf. Y.
Thébert, in Mélanges de lÉcole
française de Rome [Antiquité ], 85, 1, 1973).
Après lépoque vandale (Ve s.) qui ne laisse pas
de traces spéciales, la reconquête byzantine (VIe s.)
marquée par la construction de deux basiliques
chrétiennes et le VIIe siècle où un
évêque est encore attesté, la vie de la
cité doit séteindre peu à peu. Le site est
redécouvert au XIXe siècle, et des recherches
archéologiques sporadiques au début du XXe
siècle, puis à partir de 1957 sous la direction de
lInstitut national tunisien darchéologie et
darts, mettent au jour monuments, inscriptions, sculptures (en
partie exposées au musée national du Bardo et sur
place). À partir de 1972 est entrepris un effort de recherche
systématique et de publication qui commence à porter
ses fruits (cf. les premiers volumes de la série Recherches
archéologiques franco-tunisiennes à Bulla Regia , coll.
de lÉcole française de Rome, 28, t. I, 1, 1983
[Miscellanea] ; t. IV, 1, 1980 [Mosaïques]).
La connaissance du site est encore très lacunaire, surtout en
ce qui concerne lurbanisme ou des monuments très
effacés comme lamphithéâtre ; la recherche
soriente vers lanalyse de bâtiments
dégagés depuis longtemps, mais aussi vers la
découverte de couches correspondant à des
époques encore mal attestées (hellénistique,
islamique).
Parmi les édifices publics, des ensembles architecturaux
importants, souvent bâtis avec les procédés
habituels en Afrique romaine (maçonnerie à armature
verticale de pierres de taille dite «opus africanum», ou
voûtes construites sur coffrage de tubes de céramique),
ont néanmoins été dégagés : ainsi
le quartier du forum avec le temple dApollon, dieu protecteur
de la cité, le Capitole et le marché, ou le quartier du
théâtre, petit édifice bien conservé qui
peut dater du IIe siècle, entouré de plusieurs temples
dont lun est consacré à Isis, et prolongé
par une grande esplanade bordée de salles publiques ; au sud
de la ville, les thermes offerts par une dame de
l«aristocratie» locale, Julia Memmia, au milieu du
IIIe siècle, constituent un bel exemple dédifice
de bains à plan régulier, en partie symétrique,
aux voûtes impressionnantes et au décor recherché
(ainsi la mosaïque de labyrinthe du frigidarium ) ; à
louest, les deux petites basiliques dépoque
byzantine entrent dans une série dédifices
typiques du VIe siècle par leur architecture (en particulier
la basilique à deux absides opposées qui possède
aussi un baptistère intégré à la nef
principale) et par leurs pavements de mosaïque (cf. N. Duval,
dans Bulletin de la Société nationale des antiquaires
de France , 1969).
Mais les édifices les plus remarquables du site sont les
maisons privées (IIIe-Ve s.), du moins celles qui sont les
résidences de laristocratie municipale : elles peuvent
occuper plusieurs centaines de mètres carrés (elles
avaient aussi un étage qui nest pas conservé) et
être décorées de riches mosaïques («la
délivrance dAndromède» et «le triomphe
de Vénus marine» dans la maison dite
«dAmphitrite», ou les scènes de chasse ou de
pêche dans les maisons de la Nouvelle Chasse ou de la
Pêche). Le plan des rez-de-chaussée est celui des riches
demeures de lAfrique romaine (péristyle desservant les
salles de réception, à savoir les salles de banquet et
les salons ; chambres à coucher ; bains privés) ; mais
certaines maisons possèdent en plus au sous-sol un appartement
très luxueux : le plus souvent il sagit de trois
pièces dhabitation (un triclinium et deux cubicula )
disposés le long dun couloir (maison du Trésor,
maison «dAmphitrite»), tandis que les maisons de la
Chasse et de la Pêche sont doublées dun
étage souterrain complet organisé, comme le
rez-de-chaussée, autour dune cour ou dun
véritable péristyle ; les salles souterraines,
où la lumière parvient parfois de façon
très indirecte, bénéficient de la
fraîcheur et de la pénombre que la construction romaine
recherche souvent (par exemple dans les cryptoportiques), mais il
sagit à Bulla Regia dune réalisation
originale, inégalée (dans létat de nos
connaissances) dans toute larchitecture domestique romaine (cf.
Y. Thébert, «Vie privée et architecture domestique
en Afrique romaine», in Histoire de la vie privée , t. I,
Seuil, Paris, 1985).