Hannibal (ou Annibal) fut non seulement un meneur dhommes,
mais aussi un brasseur didées. Derrière le
capitaine qui fit trembler Rome se cache lhomme politique
né dans une Carthage soumise aux influences de
lhellénisme. Hannibal se pose comme le continuateur
dAlexandre, comme lhomme du rassemblement des
États méditerranéens. On peut dire que deux
cents ans avant César, avant Auguste, Hannibal a compris que
le monde ne pouvait retrouver la prospérité que dans
lunité. La « paix romaine » aurait fort bien
pu être précédée par une « paix
carthaginoise ». Hannibal a été le
précurseur et sans doute lartisan involontaire de
lentreprise dunification que Rome, après
léchec et la mort du Barcide, mènera
inlassablement jusquà son terme.
Enfance et
jeunesse
Au moment de la naissance dHannibal à Carthage, son
père Amilcar Barca vient dêtre chargé
dun important commandement en Sicile, où Carthage lutte
contre Rome depuis 264 avant J.-C. Le premier fait qua retenu
lhistoire concernant le jeune garçon se situe en 237
avant J.-C. : Amilcar qui a triomphé de la révolte des
mercenaires, a été chargé dun commandement
en Espagne ; son fils, âgé de neuf ans, le supplie de
lemmener ; selon Tite-Live, Barca y met pour condition
quHannibal prête devant le dieu suprême de la
famille, Baal Shamim, un serment de haine éternelle
à Rome.
Hannibal, ainsi que ses deux plus jeunes frères, Asdrubal II
et Magon, passe sa jeunesse en Espagne, dont Amilcar Barca conquiert
la partie méridionale. Il reçoit une éducation
soignée, à laquelle président des
précepteurs grecs, en particulier le
Lacédémonien Sosylos, qui sera son historien.
Très jeune, il prend part aux combats, et en particulier
à lexpédition au cours de laquelle Amilcar Barca
trouve la mort, en 231. Il devient alors le second de son
beau-frère Asdrubal Ier, qui reçoit en 229 le
commandement de larmée punique et le gouvernement de la
province, très largement autonome, quelle contrôle
en Espagne. En 221 Asdrubal est assassiné et Hannibal, alors
âgé de vingt-six ans, est proclamé commandant en
chef des troupes carthaginoises, dont la décision est
ratifiée par le gouvernement de Carthage.
Prince hellénistique et
stratège
Cest à cette date de 221 avant J.-C. que nous
connaissons son portrait physique, grâce à des monnaies
frappées en Espagne, qui permettent didentifier un
certain nombre de bustes ; le plus beau, en bronze, fut
découvert en 1944 à Volubilis au Maroc. Ce sont des
copies dépoque romaine du portrait officiel
exécuté par un artiste grec lors de la proclamation du
jeune chef. Hannibal y apparaît sous laspect dun
prince hellénistique, assez proche dAlexandre quil
avait pris pour modèle. La tête casquée du
musée de Naples, souvent considérée comme
portrait dHannibal, est une uvre du IIe siècle
après J.-C. dont lidentification ne repose sur aucune
base sérieuse.
Les historiens anciens, Polybe et Tite-Live en particulier,
soulignent lindomptable énergie dHannibal
servie par une résistance physique exceptionnelle , son
intelligence et son extraordinaire faculté dadaptation
aux situations les plus difficiles. Ils admirent surtout ses
qualités de stratège et de chef capable de diriger des
armées disparates dans les pires conditions.
Loriginalité de sa tactique a surtout été
reconnue à lépoque moderne ; elle sinspire
parfois de celle dAlexandre et de ses successeurs. Non
seulement Hannibal utilise des éléphants comme des
chars dassaut, mais il invente les actions de « commandos
», constitués par des troupes de choc peu nombreuses mais
parfaitement entraînées. Renouant avec les traditions
militaires puniques, il recrute des mercenaires aux îles
Baléares et en Gaule. Ceux-ci constitueront la masse de
manuvre à laquelle viendront se heurter les forces
romaines, notamment à Cannes (216), avant que les troupes
carthaginoises ne soient engagées dans la bataille.
Le plan
dHannibal
Comme son père, Hannibal a été dominé
toute sa vie par lidée de la revanche contre Rome, qui,
au terme dune guerre de plus de vingt ans (264-241), a
réduit Carthage au rôle de puissance secondaire en lui
arrachant la Sicile et la Sardaigne. Afin dorganiser la
revanche, Amilcar Barca avait tenté de trouver des ressources
économiques et des expédients militaires nouveaux. Dans
cette intention, il avait créé en Espagne un
État colonial, organisé comme les royaumes
hellénistiques, dont il était le véritable
maître. Hannibal a surtout étudié les faiblesses
de la confédération italique que Rome a
constituée depuis le milieu du IVe siècle. Il vise
à en détacher les cités campaniennes et grecques
situées au sud du Latium, qui forment les postes clefs de la
puissance économique et maritime de Rome. Pour leur permettre
de se libérer, il lui faut neutraliser la force militaire des
légions. À cette fin Hannibal compte utiliser le
potentiel humain du monde celtique et engager des auxiliaires
gaulois. Cest cette considération, plus encore que la
faiblesse de sa marine, qui le détermine à attaquer
lItalie par voie de terre.
La première phase de la
guerre
Son plan mis au point, Hannibal cherche
délibérément le conflit, en attaquant Sagonte,
ville ibérique alliée de Rome et protégée
par laccord imposé par le Sénat à Asdrubal
Ier, qui interdit à larmée carthaginoise de
franchir le Jucar. Les gouvernants romains font preuve dune
irrésolution qui permet à Hannibal de prendre et de
détruire la ville. Rome déclare alors la guerre.
Hannibal pénètre en Gaule en contournant les villes
grecques de Catalogne. Bien accueilli par les Gaulois Volques qui
viennent de sassurer le contrôle du Languedoc, il
établit des garnisons dans certaines de leurs places et
savance sans combat jusquau Rhône. Mais il doit
disputer le passage du fleuve à dautres Gaulois
ameutés par les Marseillais, puis remonter vers le nord et
forcer le passage à travers les défilés
alpestres, sans doute au Grand-Saint-Bernard.
Les batailles du Tessin et de la Trébie (automne 218) donnent
aux Carthaginois le contrôle de la Cisalpine. Après
sêtre reposés en Bologne, ils descendent en mars
217 vers lÉtrurie et écrasent à
Trasimène les deux légions du consul Flaminius (21
juin). Hannibal, contournant Rome, marche alors par la côte
adriatique vers Capoue, où ses amis politiques ont pris le
pouvoir, mais hésitent encore devant la défection
ouverte. Fabius Maximus, nommé dictateur à Rome,
sefforce de sauver lessentiel par une tactique de
temporisation devenue proverbiale. Mais en 216 les élections
donnent le pouvoir aux partisans de loffensive, les deux
consuls Terentius Varro et Paul Émile. La bataille de Cannes,
en Apulie, coûte à Rome 46 000 de ses meilleurs
légionnaires (2 août 216).
Léchec du plan
dHannibal
La puissance militaire qui unissait lItalie étant
ainsi brisée, Hannibal peut espérer la
désagrégation de la confédération.
Effectivement, Capoue passe dans son camp, suivie par les Grecs de
Tarente et de Syracuse. Mais, contrairement aux espoirs du Barcide,
ces ralliements ne permettent pas à la flotte punique de
reprendre le contrôle de la mer. Dautre part, au milieu
des épreuves, rassemblant toutes ses énergies, Rome a
réussi à créer au centre de lItalie une
formation politique dun type nouveau, un véritable
État national, dont le noyau na pas été
entamé par les défections de ses associés, et
qui révèle une vitalité et une capacité
de résistance quHannibal navait pas
soupçonnées. Les légions se reconstituent ; la
tactique de Fabius ayant fait ses preuves, elles évitent
maintenant les grandes batailles et sappliquent à «
grignoter » patiemment les positions carthaginoises. Dans le
même temps le royaume barcide dEspagne, agglomérat
de peuples unis seulement par la force et la diplomatie,
seffondre aussi vite quil a été
constitué : dès 216 les deux frères Scipion,
Cneus et Publius, parviennent à rallier à la cause
romaine la plupart des tribus de la Meseta, ne laissant aux
Carthaginois que la Bétique (lAndalousie) et les
côtes méditerranéennes du Sud-Est.
Devant léchec de ses espoirs, Hannibal tente
délargir ses plans en entraînant le monde grec
dans la lutte contre Rome. Il obtient dès 216 lalliance
du roi de Macédoine Philippe V, qui dispose de la meilleure
armée hellénique. Mais ce succès diplomatique
demeure sans effet sur lévolution de la guerre :
Philippe est retenu par les affaires grecques et Rome conserve la
maîtrise de la mer. La reprise de Capoue et de Syracuse en 211
ruine toute possibilité de débarquement grec ou punique
en Italie.
Dernière phase de la
guerre
Une dernière chance soffre pourtant aux Carthaginois
en cette même année 211. Mal soutenus par le
gouvernement romain (pour des raisons de politique intérieure
sans doute), les Scipions sont brusquement abandonnés par
leurs alliés espagnols, vaincus et tués. Le fils de
lun deux, Publius Scipio, le futur Scipion
lAfricain, obtient du peuple lautorisation daller
venger son frère et son oncle et, à peine arrivé
en Espagne, en 210, enlève par surprise Carthagène,
capitale des Barcides. Mais Asdrubal II profite de loccasion
pour rééditer le raid de son frère cadet
Hannibal à travers la Gaule méridionale, que
lamitié des Volques maintient dans le camp punique.
Larrivée de cette armée fraîche peut
retourner la situation en faveur dHannibal mis progressivement
en difficulté par les légions dans lextrême
sud de la péninsule. Laudace des Barcides est pour une
fois surpassée par la témérité dun
Romain, Claudius Nero, qui laisse un rideau de troupes devant
Hannibal, court rejoindre lautre consul Livius Salinator sur le
Métaure et, avec lui, écrase Asdrubal en 207.
Dès lors, Hannibal perd complètement linitiative
des opérations. Pendant quil se défend pied
à pied dans le Bruttium, Scipion achève de
conquérir lEspagne et, malgré les
réticences de Fabius, obtient lenvoi dune
expédition en Afrique (204). Le Barcide ne reprendra un
rôle important dans la guerre quaprès
sêtre échappé dItalie en 202 ;
à ce moment Carthage a déjà virtuellement perdu
la partie en Afrique, Scipion ayant pu enlever le royaume de Numidie
à Syphax pour le donner à Massinissa, allié des
Romains. Hannibal constate que cest en Numidie que la partie va
se jouer ; aussi débarque-t-il non à Carthage,
pratiquement bloquée, mais à Hadrumète,
lactuelle Sousse, doù il marche sur la capitale
orientale des Numides, Zama (202). Laffrontement décisif
se situera non loin de cette ville (probablement dans la
vallée de louest Siliana, plutôt que dans le
bassin du Sers) ; ce sera la première défaite
dHannibal en bataille rangée, et la fin de Carthage en
tant que puissance politique.
La fin
dHannibal
Cependant, la paix signée, Hannibal ne perd pas lespoir de redresser la situation. Il prend part aux luttes politiques, devient le chef du parti démocratique et essaie de parfaire la révolution accomplie un demi-siècle plus tôt par son père, en achevant dabattre les vestiges de la constitution oligarchique de Carthage. Mais lorsquil est parvenu à se faire élire sufète, ses adversaires alertent Rome, qui exige son élimination (195). Il quitte précipitamment sa patrie et tente de reprendre la lutte sur un autre terrain, en y entraînant le monde hellénistique sous la conduite du roi séleucide de Syrie Antiochos III. Mais les plans du Barcide sont écartés par létat-major royal, et il assiste impuissant à la victoire de Rome en Asie Mineure. La paix dApamée loblige à trouver un autre refuge (188) ; il demande asile au roi de Bithynie Prusias. Mais celui-ci nosera pas refuser de livrer son hôte aux envoyés de Rome venus le réclamer, et Hannibal naura dautre issue que le suicide (183), à Libyssa, près de lactuelle Brousse.